Histoire et récits d’une ville vivante
La question de l’animal, dans les travaux des chercheurs en architecture comme dans les projets des architectes et urbanistes, s’affirme tardivement, au milieu des années 2010. Elle s’inscrit dans la continuité d’un tournant environnemental de l’architecture à l’œuvre depuis la fin des années 1980.
Au Pavillon de l'Arsenal, Paris, jusqu'au 3 septembre 2023
L’animal que l’on domestique et celui que l’on craint, l’animal que l’on contemple et celui que l’on évite, l’animal que l’on fantasme et celui que l’on ignore, visible, exposé ou caché, l’animal habite avec nous. À Paris et sur son grand territoire, quelles sont les incidences mutuelles de cette cohabitation ? L’exposition « Paris Animal - Histoire et récits d’une ville vivante » et le livre qui l’accompagne ont pour ambition de raconter une histoire, celle de la construction de la capitale, de l’Antiquité à aujourd’hui, par le prisme de l’animal et d’en comprendre les enjeux et les perspectives.
Si l’animal est présent dès le premier traité d’architecture, quand s’invente le récit de son origine, la façon dont il traverse l’histoire de la construction de la ville est représentative des grands basculements sociétaux. Chaque période reflète la considération que nous lui portons et les orientations qui ont conduit à la présence ou à l’absence de certains animaux dans la ville et le territoire : du Paris gallo-romain à la période préindustrielle, des récits mettent en lumière une cohabitation marquée par une forme d’animalité de la ville, des bêtes mais aussi une « animalité humaine » ; puis l’industrialisation et l’hygiénisation de la capitale mettent l’animal et la ville sous contrôle ; enfin, la période contemporaine, face aux enjeux écologiques, interroge les modalités d’un nouveau partage de la ville avec le vivant.
Loups, chevaux, vaches, moutons, mésanges, fouines, faucons, girafes, brochets, cerfs, … cette manifestation croise le bestiaire grand-parisien aux lieux qui lui sont dédiés tels que zoo, ménagerie, « jardin d’acclimatation », volière, aquarium, abattoir, mais aussi aux dessins des édifices, de l’espace public et aux tracés du grand territoire – ornementation des édifices religieux et domestiques, pavillon de chasse, tracés forestiers, cirques, hippodromes, écuries… jusqu’à l’émergence d’une « architecture animaliste » et d’une ville qui accueillent la faune domestique et sauvage : façade à insectes, nouvelle gestion des fleuves, des parcs...
Suivant un déroulé chronologique, l’exposition guide le visiteur au travers de 44 récits, sondages dans le temps long de l’histoire de la ville illustrant des basculements et des continuités qui structurent l’histoire animale de la capitale : « Le roi tué par un cochon », « Les loups sont entrés dans Paris », « La ville aux 80 000 chevaux », « Au menu du siège de Paris », « Transhumances en Île-de-France » … autant d’épisodes qui, en observant les lieux de partage entre l’humain et l’animal, qu’ils soient l’expression de tension, de collaboration ou de domination, font entrevoir ce que pourrait être la construction d’une ville vivante.
Informations pratiques
Entrée libre du 29 mars 2023 au 3 septembre 2023
#parisanimal
Prenez-vous en photo avec votre animal dans l'exposition ou dans la ville et partagez vos cliclés sur les réseaux en mentionnant @pavillonarsenal #parisanimal
L'éclairage de Henri Bony, architecte et enseignant et Léa Mosconi, architecte, docteure en architecture
Cette manifestation propose de construire une histoire animale de Paris en articulant deux principaux objectifs. D’une part, il s’agit de rendre visibles le rôle et la place des bêtes dans l’histoire de la ville et de révéler que ce sont aussi les vaches, les mésanges, les loups, les fouines, les faucons, les girafes, les chevaux, les bro- chets et les cerfs qui ont fait le Paris d’aujourd’hui. Alors que les animaux ont longtemps été effacés ou minorés des récits dominants, l’histoire que nous campons tente de mettre en lumière ce que la présence animale a généré dans la capitale.
D’autre part, en menant cette enquête sur le temps long, en observant les lieux de partage entre l’humain et l’animal, qu’ils soient l’expression de tension, de collabo- ration ou de domination, il s’agit de dégager des indices pour imaginer ce que pourrait être un Paris à même de créer une altérité avec l’animal ; pour reprendre les mots de la philosophe Donna Haraway : « Nous devons apprendre ainsi, au cœur d’un présent épais, à bien vivre et à bien mourir, ensemble. » La longue histoire de l’animal dans la ville, celle des rôles qu’il a endossés, des lieux qu’il a habités et façonnés, de la place qu’il a pu prendre ou qu’il a dû laisser, cette histoire des modes de cohabitation entre l’humain et l’animal qui en dé- coulent, nous offre une matière précieuse pour identifier les freins et les leviers à activer aujourd’hui en vue de penser les conditions de leur coexistence dans la capitale.
Les quatre périodes qui structurent cette manifestation rendent compte de quatre manières de cohabiter avec la faune dans Paris. Avant-hier, qui s’étend du Paris gallo-romain à la période préindustrielle, met en lumière une cohabitation marquée par une forme d’animalité de la ville, des bêtes mais aussi une animalité humaine ; Hier souligne combien le processus d’industrialisation de la capitale met l’animal et la ville sous contrôle ; Aujourd’hui révèle que les modalités de partition de la ville et, plus largement, de l’espace entre humains et animaux prennent des formes multiples, parfois anta- gonistes; Demain suggère des pistes pour partager la ville avec les bêtes. Partager, c’est à la fois séparer et réunir, c’est trouver la bonne distance, les ajustements appropriés, les conditions heureuses pour qu’une coexistence puisse advenir à Paris, entre tous les êtres vivants, dans ses rues, ses bâtiments, sur ses toits, dans ses égouts, ses jardins, son fleuve.
L'animal : un enjeu écologique
La question de l’animal, dans les travaux des chercheurs en architecture comme dans les projets des architectes et urbanistes, s’affirme tardivement, au milieu des années 2010. Elle s’inscrit dans la continuité d’un tournant environnemental de l’architecture à l’œuvre depuis la fin des années 1980. En effet, c’est d’abord la question énergétique, portée par les sommets mondiaux, les réglementations, les labels et les industriels, qui anime les débats et façonne la production architecturale dite «écologique»; une prise en considération de la matière, notamment la pierre, la terre, le bois, la paille, et du réemploi, a ensuite émergé, au côté d’une attention pour l’agriculture urbaine et, plus largement, pour une écologie urbaine. Puis cette préoccupation pour la place et le rôle du vivant dans l’architecture et dans la ville a généré une réflexion plus spécifique sur la faune en milieu urbain. Progressivement, en vingt ans, l’approche de l’architecture écologique a donc évolué : l’attention s’est déplacée du caractère immatériel de l’énergie aux corps chauds et animés des vivants.
Les enjeux écologiques d’une approche animale de l’architecture sont multiples. Ils mobilisent des questions liées tant à la biodiversité qu’à la nature des sols, ou encore aux îlots de fraîcheur urbains. Ils se déploient à plusieurs échelles et articulent différents outils. Par exemple, la préservation de la biodiversité s’exerce aussi bien au niveau du territoire francilien, avec les trames vertes et bleues, qu’à celui de l’architecture, à travers le déploiement par certains architectes de fa- çades « biodiversitaires ».
L’intégration de la question animale dans les préoccupations écologiques confronte l’architecture à la complexité que nécessite une approche environnementale. Cette complexité est celle du vivant, des vivants, des situations fragiles et singulières qui les abritent et appellent des propositions spécifiques et généralement multiscalaires. C’est une complexité qui rompt avec le caractère générique d’une crise écologique souvent abordée par le biais d’un universalisme pervers, avec un appareil de solutions applicables partout et reproductibles à l’infini.
L'animal : un enjeu de cohabitation
La prise en compte de l’animal se fait de plus en plus prégnante dans de nombreuses métropoles, notamment à Paris. D’un côté, les politiques de préservation de la biodiversité participent à accroître la présence de certaines populations animales; de l’autre, la dégradation des milieux habités en zones rurales encourage la venue d’animaux liminaires aux portes de Paris. Identifier les modalités à mettre en place pour coexister avec cette faune dont on favorise ou subit la présence est un enjeu certain pour l’architecture et l’urbanisme ; en créant des seuils, des séquences, des limites, des mondes, il s’agit alors de structurer un territoire vecteur de cohabitation.
C’est également un enjeu qui engage les architectes et les urbanistes à créer des passerelles avec d’autres disciplines et d’autres acteurs, à faire appel aux compétences et connaissances de naturalistes, d’ethnologues, de géographes, d’anthropologues, d’ornithologues, à redéfinir les contours de la profession et, surtout, à penser sa porosité. En effet, la présence animale en ville, que la sensibilité écologiste contribue à révéler, suscite une lecture décentrée de l’urbanisme et invite à envisager une conception architecturale qui rompe avec l’anthropocentrisme à l’œuvre jusqu’à présent. Le décentrement qu’opère la prise en compte de l’animal comme cohabitant est-il également de nature à subvertir les fondamentaux de l’architecture? Penser les conditions d’une coexistence entre humains et animaux dans la ville ne nécessite-t-il pas de questionner nos acquis disciplinaires ainsi que leur autonomie ?
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