Tribune libre
Gilles Frémont, Président ANGC et Syndic
Avec près d’1 million de passoires thermiques en France, dont 30% concernent des logements en copropriété, le Gouvernement est loin d’atteindre ses objectifs portés sur 2025.
Dans ce contexte, Antoine Armand, un député membre de la Commission des Affaires économiques à l’Assemblée Nationale, a déclaré dans une récente interview : « C’est dans les copropriétés qu’on a les gains énergétiques les plus importants. Et donc avoir 1/3 des copropriétaires qui pourraient bloquer les chantiers, là où les 2/3 sont prêts à les faire, c’est très problématique. Après, dès lors qu’on réduit ces seuils ou qu’on met des obligations, il faut que nous puissions accompagner les plus vulnérables ».
Réforme, obligation, aide. Ainsi toute la politique du logement depuis 20 ans tiendrait dans ces trois mots.
"Face aux copropriétés, le gouvernement semble désemparé"
Nos élus politiques envisagent donc une nouvelle fois de réformer le droit de la copropriété. Cette fois-ci, il s’agirait d’abaisser le seuil de majorité pour voter des travaux de rénovation énergétique dans les assemblées générales de copropriétaires. La loi du 10 juillet 1965, déjà réformée ou complétée plus de 60 fois depuis son entrée en vigueur, se verrait à nouveau modifiée. Composée de 45 articles à son origine, elle en compte désormais 145 !
Face aux copropriétés, le gouvernement semble désemparé. Et nos députés de se faire des noeuds au cerveau pour trouver la solution miracle. Tous désespèrent de voir que les copropriétaires ne fassent pas plus de travaux de rénovation énergétique que ça. Tous dénoncent ce qu’ils qualifient d’inertie répréhensible. A tel point qu’il faut désormais contraindre, sous peine de se voir interdit de louer son logement. Prenez garde de ne pas trop interdire non plus, vous risqueriez au final de n’avoir ni logement, ni travaux. On ne saurait faire boire un âne qui n’a pas soif.
Et pourtant des travaux, les copropriétaires en font, mais par étapes, tranche par tranche, le plus souvent quand ils sont dos au mur certes (quand la toiture fuit de partout, quand la chaudière rend l’âme), mais ils en font malgré tout. On entrevoit même quelques grands projets qui commencent à émerger ici et là sur les immeubles des Trente Glorieuses, ces bâtiments en fin de cycle. Comme quoi il suffit de patienter un peu. Toutefois, on peut comprendre leur déception, car tous les efforts sont déployés par nos élites politiques depuis 15 ans pour pousser les copropriétés à s’engager massivement dans la voie de la transition énergétique. L’intention est louable, l’enjeu climatique ne peut plus attendre. Mais visiblement la méthode n’est pas la bonne.
"Nos députés, sur des sujets aussi importants et médiatisés, ne seraient pas au courant des règles en vigueur."
Avant de modifier la loi encore une fois, il est important de rappeler à nos députés qu’en droit de la copropriété, les travaux de rénovation énergétique relèvent de la catégorie des travaux d’amélioration, et que ceux-ci ne se votent plus à la majorité des 2/3 depuis la loi ALUR en 2014. Un glissement de majorité avait déjà été opéré il y a 10 ans, de la règle des 2/3 à la règle de la 1/2. De la majorité dite de l’article 26 à la majorité dite de l’article 25. Il y a de quoi être interpellé par une telle méconnaissance du droit. Nos députés, sur des sujets aussi importants et médiatisés, ne seraient pas au courant des règles en vigueur. Nos députés, mais également nos ministres. Olivier Klein en personne, ministre du logement, exprimait dans plusieurs déclarations reprises par plusieurs médias en décembre dernier, son souhait de voir abaisser la règle de majorité des travaux énergétiques. Notre ministre n’aurait-il point de conseillers autour de lui qui soient au fait de la législation existante ? Avouons que c’était assez regrettable. Car non seulement les travaux d’amélioration se votent déjà à la majorité des 50% depuis 2014, comme on l’a dit, mais ils bénéficient en plus, depuis la loi Elan en 2018, du mécanisme de la passerelle permettant à l’assemblée générale de voter immédiatement en seconde lecture à la majorité simple des voix exprimées. La fameuse majorité dite de l’article 24, la plus facile à obtenir, puisqu’il suffit d’un 1/3 des voix du syndicat pour faire approuver une décision par les seules personnes présentes ou représentées. Nous sommes donc loin, très loin, d’un prétendu veto. Au contraire, par le jeu de la seconde lecture, c’est bien la minorité présente et active qui décide, et impose ses choix à la majorité absente et passive. L’adage selon lequel les absents ont toujours tort, s’applique ici pleinement.
Halte aux illusions
Ce n’est pas parce que l’on a décrété que les copropriétaires devaient faire des travaux, pour des enjeux écologiques aussi louables soient-ils, qu’ils vont les faire en un claquement de doigts, à marche forcée, dans des délais irréalistes qu’on leur a imposé. Ne nous berçons pas d’illusions.
Le problème, c'est l'argent
En réalité, le problème n’est pas dans la règle de vote. Le problème n’est pas dans le droit. Le problème, c’est l’argent. Si les propriétaires de logements en copropriété ont du mal à se lancer dans les grandes manœuvres d’une rénovation énergétique d’ensemble, portant la plupart du temps sur de gros travaux de toiture et d’isolation de façade, c’est parce que la note est salée. Le coût des travaux de rénovation énergétique d’immeuble est estimé en moyenne à 20.000 € par propriétaire. Certes les aides publiques existent, en premier lieu le dispositif MaPrimeRenov qui prend en charge 25% du montant des travaux sous certaines conditions, mais le reste à débourser n’est pas anodin. On ne parle pas de petits travaux. Ce n’est pas parce que l’on a décrété que les copropriétaires devaient faire des travaux, pour des enjeux écologiques aussi louables soient-ils, qu’ils vont les faire en un claquement de doigts, à marche forcée, dans des délais irréalistes qu’on leur a imposé. Ne nous berçons pas d’illusions.
Alors, au lieu de vous évertuez à changer la loi une énième fois, Mesdames et Messieurs les députés, songez plutôt à simplifier ce qui existe déjà.
Nous vous proposons de simplifier les dispositifs existants. Améliorez par exemple le service public du logement France Renov’, pour offrir un véritable accompagnement des particuliers et des gestionnaires dans leurs démarches. Soit dit en passant, il n’eut d’ailleurs pas été nécessaire d’inventer le métier d’accompagnateur si les choses eussent été plus simples dès le départ. Encouragez l’épargne travaux, car il n’est pas normal qu’après 10 ans d’existence, le montant moyen du fonds de réserve obligatoire dans les copropriétés, censé financer les grands travaux, ne soit aujourd’hui que de 4700 € (données du registre d’immatriculation des copropriétés de l’ANAH 2022). Abaissez le coût des travaux en réduisant drastiquement le taux de TVA. Et si nous pouvions déduire tout cela de nos impôts, nous en serions d’autant plus motivés. Débroussaillez une bonne fois pour toutes le maquis inextricable des aides et subventions publiques, et rappelez-vous que la dette publique n’est pas un puit sans fond. Allégez le mille-feuille de notre administration, il y a trop d’établissements publics, d’agences locales, de métropoles et autres strates d’interlocuteurs dans nos mairies, nos départements, nos régions. Finalement combien y a-t-il de « guichets uniques » ?
Il semble manifestement que le compte n’y est pas, et que les politiques publiques en matière de rénovation énergétique entreprises depuis si longtemps, manquent sérieusement de clarté et d’efficacité. Pour preuve, cette nouvelle Commission d’enquête parlementaire mise en place le 17 janvier 2023. Pour Guillaume Gontard , son rapporteur : "Il nous faut comprendre pourquoi depuis 15 ans notre pays ne parvient pas à atteindre les objectifs ambitieux qu’il se fixe en matière de rénovation énergétique. Il nous faut cerner ce qui ressort du manque de moyens, du défaut des outils mis en place, des fraudes, des difficultés de la filière et des acteurs pour relever le défi. Il nous faut aussi définir le chemin qui nous permettra de massifier enfin les rénovations pour tous les Français".
Une tâche supérieure prévalait ...
Une tâche supérieure prévalait et vous ne l’avez jamais réalisé : la codification du droit de la copropriété. Promise par la loi Elan en 2018, puis discrètement abandonnée en rase campagne par la Chancellerie, la codification de la copropriété à droit constant avait pour ambition de simplifier le droit et réduire les litiges. Dans une réponse ministérielle du 13 janvier 2022, le garde des sceaux nous avait pourtant juré de s’y remettre. On attend toujours. Dommage. Sans doute est-il plus facile de rajouter que d’enlever. Nous vous invitons vivement à rouvrir ce dossier.
Des réformes incessantes, un manque de cohérence
Les praticiens que nous sommes n’en peuvent plus des réformes incessantes. A peine commençons-nous à assimiler une nouvelle loi, qu’une autre arrive. A peine commençons-nous à mettre en pratique un nouveau décret dans nos ordres du jour d’assemblées, qu’un autre lui succède. Les arrêtés ministériels pleuvent, toujours plus détaillés, toujours plus techniques, de moins en moins compréhensibles pour les acteurs, y compris les professionnels. Songez un instant à la réglementation savante relative au comptage individuel des frais de chauffage, ses multiples cas de dérogation, ses pourcentages de répartition et ses coefficients correcteurs. Pensez-vous sincèrement que les copropriétaires dans leur grande majorité seront capables de comprendre la différence et les subtilités entre un PPPT, un PPT, un DTG, un DPE (collectif ou individuel), un Audit énergétique, un Audit architecturale ? Simplifiez, édulcorez, laissez un seul outil, éliminez tous les autres.
Il faut souvent un délai supérieur à 3 ans à un corps social pour se mettre au diapason d’une nouvelle réforme, prédisait le Professeur Perinet-Marquet. Saurez-vous nous laisser souffler au moins 5 ans ? Loi SRU, loi ALUR, loi Macron, loi ELAN, loi Climat et Résilience, loi 3DS, pour ne citer que les plus importantes, viennent s’empiler les unes sur les autres à un rythme infernal, sans cohérence d’ensemble, sans vision à long terme, renfermant même parfois quelques contradictions. Nous attirons votre attention sur le fait que les Gestionnaires sur le terrain sont perdus. Ils doivent expliquer et mettre en application des textes de plus en plus abscons et mouvants. Laissez-nous le temps d’absorber la matière, et la relayer pour vous.
Une tâche supérieure prévalait et vous ne l’avez jamais réalisé : la codification du droit de la copropriété. Promise par la loi Elan en 2018, puis discrètement abandonnée en rase campagne par la Chancellerie, la codification de la copropriété à droit constant avait pour ambition de simplifier le droit et réduire les litiges. Dans une réponse ministérielle du 13 janvier 2022, le garde des sceaux nous avait pourtant juré de s’y remettre. On attend toujours. Dommage. Sans doute est-il plus facile de rajouter que d’enlever. Nous vous invitons vivement à rouvrir ce dossier.
Notre belle loi de 1965, au juste équilibre, maintes fois remaniée, qu’elle s’en trouve entièrement rapiécée et déformée. Elle compte désormais pas moins de 34.000 mots qui viennent encombrer des textes à forte emprunte politique et dénués de tout sens pratique. Les lobbyistes à la place des juristes, nous sommes tous responsables de cette lente déviance. Nous participons nous aussi à vos comités de réflexion, et succombons nous aussi à la tentation de la réglementation. Nous n’en demeurons pas moins attachés à la Loi dans son sens noble du terme, la justesse d’écriture et la finesse du style, ces valeurs que nous avons perdu au fil du temps dans les abîmes de la technocratie.
"De grâce, ne touchez plus à la loi"
Portalis, dans son discours préliminaire au projet du premier code civil de 1804, disait : « Nous nous sommes également préservés de la dangereuse ambition de vouloir tout régler et tout prévoir. Une foule de choses sont donc nécessairement abandonnées à l’empire de l’usage, à la discussion des hommes instruits, à l’arbitrage des juges. L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit, d’établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière ».
Alors, ne cherchez pas à tout régenter. Nous vous proposons de laisser les activités humaines se dérouler comme elles le devraient. Nous vous proposons de laisser fructifier ce que vous avez déjà fait, et de laisser prospérer les initiatives privées. Déblayez-nous le terrain, et les travaux se feront. Prenez votre temps. Et de grâce, ne touchez plus à la loi.
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