Interview
Décryptage
La loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement va-t-elle bouleverser le contentieux de l’urbanisme ? Adoptée définitivement le 15 octobre 2025, elle est décryptée pour nous par Pierre-Philippe Sechi, avocat associé chez Vilôme Avocats.
Les nouvelles dispositions prévues par la loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement introduisent-elles un nouveau pilier dans la régulation du contentieux de l’urbanisme ou renforcent-elles les fondations des piliers existants ? Les mesures prévues par le législateur s’insèrent dans les piliers existants, en cherchant à accélérer les délais de procédure, rationaliser les procédures et sécuriser les documents d’urbanisme.
Interview
QUOI DE NEUF EN CONTENTIEUX DE L’URBANISME ?
Décryptage des modifications apportées par la loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement
Publiée au Journal officiel le 27 novembre 2025, la loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement introduit de nouvelles dispositions en matière de contentieux de l’urbanisme.
Ces nouvelles dispositions s’inscrivent dans une dynamique ancienne de régulation du procès administratif en matière d’urbanisme.
Cette volonté de régulation s’explique tout d’abord par les spécificités propres au contentieux de l’urbanisme et plus particulièrement à celui des autorisations d’urbanisme (permis de construire, permis d’aménager, déclaration préalable, etc.). Contrairement au contentieux administratif classique, qui oppose généralement un administré à l’administration, le contentieux des autorisations d’urbanisme présente une configuration tripartite : un requérant conteste le permis délivré par l’administration à son voisin. Le titulaire du permis et l’administration doivent donc se défendre contre ce requérant. Face à cette configuration spécifique, il est nécessaire de réguler l’accès au prétoire, pour limiter le nombre de requérants potentiels.
La volonté de régulation du contentieux de l’urbanisme s’explique également par le poids économique du secteur de la construction. Représentant 5 % du PIB, le secteur compte 440.000 entreprises et rassemble 1.749.000 actifs, avec un chiffre d’affaires de 208 milliards d’euros.1 Compte tenu de l’importance de ce secteur, le législateur, comme le pouvoir réglementaire, ont souhaité sécuriser les permis de construire et éviter les annulations, tout en accélérant les délais de jugement.
Réguler l’accès au prétoire, accélérer le traitement des contentieux et sécuriser les projets : tels sont les trois piliers sur lesquels repose la régulation du contentieux de l’urbanisme. C’est ainsi que pour limiter le nombre de requérants potentiels, l’intérêt à agir est encadré, aussi bien pour les personnes physiques (art. L. 600-1-2 du code de l’urbanisme), que pour les associations (art. L. 600-1-1 du code de l’urbanisme). Pour accélérer les procédures, les contentieux portant sur des projets comportant des logements doivent être jugés théoriquement en dix mois (art. R. 600-6 du code de l’urbanisme), tandis que le degré d’appel est supprimé pour ces projets (art. R. 811-1-1 du code de justice administrative). Pour sécuriser les projets, le code de l’urbanisme exige, de la part des requérants, une notification de leurs recours (art. R. 600-1 du code de l’urbanisme), limite les moyens invocables et le délai pour introduire un référé suspension (art. R. 600-5 du code de l’urbanisme) et permet aux pétitionnaires de régulariser leur projet (art. L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme).
Ce cadre ainsi posé, les nouvelles dispositions prévues par la loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement introduisent-elles un nouveau pilier dans la régulation du contentieux de l’urbanisme ou renforcent-elles les fondations des piliers existants ? Les mesures prévues par le législateur s’insèrent dans les piliers existants, en cherchant à accélérer les délais de procédure, rationaliser les procédures et sécuriser les documents d’urbanisme.
Accélérer les délais de procédure
La loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement introduit deux nouvelles mesures destinées à accélérer le traitement des contentieux de l’urbanisme.
La première mesure consiste à modifier les règles applicables aux recours gracieux. Actuellement, une autorisation d’urbanisme peut faire l’objet d’un recours gracieux, lequel proroge le délai pour introduire ensuite un recours contentieux devant le tribunal administratif. En pratique, l’exercice d’un recours gracieux peut repousser de six mois l’échéance pour saisir le juge, et il est fréquent que les requérants l’utilisent, précisément, pour allonger la procédure. Ainsi et pour accélérer la procédure, la loi prévoit désormais qu’un recours gracieux contre une autorisation d’urbanisme devra être exercé dans un délai d’un mois (contre deux actuellement). Surtout, le recours gracieux n’aura plus pour effet de proroger les délais contentieux (nouvel article L. 600-12-2 du code de l’urbanisme). Cette nouvelle règle contentieuse, jugée conforme à la Constitution2 vise à contraindre les potentiels requérants à saisir directement le tribunal, sans allonger la procédure par l’exercice d’un recours gracieux. Cette mesure pourrait également entraîner, du moins dans un premier temps, des irrecevabilités pour tardivité, notamment pour les requérants non avertis qui continueraient à former des recours gracieux, pensant à tort que ceux-ci prorogent les délais contentieux. Cette nouvelle règle contentieuse s’applique aux recours formés contre les autorisations intervenues à compter du 28 novembre 2025, date d’entrée en vigueur de la loi de simplification.3
La seconde mesure permet au pétitionnaire de contester, en urgence, une décision de refus de permis. Jusqu’à présent et lorsque l’administration refuse de délivrer une autorisation d’urbanisme, le pétitionnaire doit attendre plusieurs années avant que le tribunal se prononce sur la légalité du refus opposé. En effet et bien que la voie du référé soit théoriquement ouverte, la nécessité de démontrer l’urgence, en cas de refus, s’avère complexe. Pour répondre à cette situation, le législateur a donc prévu que l’urgence soit présumée satisfaite (nouvel article L. 600-3-1 du code de l’urbanisme). En somme, tout pétitionnaire pourra désormais introduire un référé suspension contre un refus d’autorisation. Il s’agit d’une véritable opportunité pour le pétitionnaire : le juge des référés se prononce, en quelques semaines, sur la légalité du refus opposé par l’administration. En cas de doute sérieux, il suspendra le refus et enjoindra l’administration de procéder à une nouvelle instruction. En cas de rejet du référé, le pétitionnaire sera incité à corriger son projet et à redéposer une nouvelle demande, sans attendre le jugement au fond de son projet. Relevons que cette mesure est applicable aux référés introduits à compter du 28 novembre 2025.
Rationaliser la procédure contentieuse et sécuriser les documents d’urbanisme
Pour poursuivre la rationalisation et la sécurisation des documents d’urbanisme, la loi de simplification prévoit, là aussi, deux nouvelles mesures.
La première de ces mesures est la généralisation de la cristallisation des moyens. Ce mécanisme prévoit qu’à compter d’une certaine date, il n’est plus possible d’invoquer de nouveaux moyens ; les débats sont alors « cristallisés ». Ce mécanisme s’applique déjà aux tiers à l’occasion de recours contre des autorisations d’urbanisme. La loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement le généralise, en l’appliquant désormais à l’administration, lors de recours introduits par le pétitionnaire contre un refus d’autorisation. Ainsi, passé le délai de deux mois suivant l’enregistrement du recours, l’administration ne peut plus invoquer de nouveaux moyens justifiant le refus d’autorisation (article L. 600-2 du code de l’urbanisme). Cette mesure rationalise le contentieux, en limitant les moyens pouvant être invoqués par l’administration pour justifier son refus. C’est également une sécurité pour les pétitionnaires, afin d’éviter que l’administration, dans une logique dilatoire, égrène les motifs de refus tout au long de la procédure, aussi bien pour la retarder, que pour s’opposer à un projet. Cette mesure est applicable aux recours enregistrés au greffe à compter du 28 novembre 2025.
La seconde mesure vise, également, à limiter les moyens pouvant être invoqués, mais cette fois-ci dans le cadre des recours contre un document d’urbanisme. Introduit de façon novatrice en 1994, l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme prévoit que l’illégalité pour vice de forme ou de procédure d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’une carte communale ou d’un document d’urbanisme en tenant lieu ne peut être invoquée par voie d’exception, après l’expiration d’un délai de six mois à compter de la prise d’effet du document en cause. À l’origine, l’idée était de sécuriser les documents, en limitant dans le temps, l’invocabilité par voie d’exception des vices de forme ou de procédure. Passé six mois, et en cas de recours par voie d’exception, les requérants ne pouvaient plus contester un document d’urbanisme, aux motifs qu’il aurait été pris sur le fondement d’une procédure irrégulière. La loi de simplification supprime cet article pour s’aligner sur la jurisprudence Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT de 20184 dans laquelle le Conseil d’État a jugé que les vices de forme et de procédure d’un acte réglementaire ne peuvent être utilement invoqués par la voie de l’exception d’illégalité. Alors que l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme permettait de soulever ces vices dans un délai de 6 mois, la décision du Conseil d’État va plus loin dans le processus de sécurité juridique, en retenant qu’il est désormais impossible d’invoquer, par voie d’exception, des vices de forme ou de procédure entachant un acte réglementaire. Désormais donc, il ne sera plus possible de se prévaloir, par voie d’exception, d’un vice de forme ou de procédure affectant le document d’urbanisme applicable. À noter que les modalités d’entrée en vigueur de l’abrogation de l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme n’ont pas été précisées par la loi de simplification.
Les mesures abandonnées en cours de discussion parlementaire ou censurées par le Conseil constitutionnel : procédure de filtre préalable, délai de jugement de 6 mois pour les projets de logements sociaux et limitation des requérants susceptibles de contester un PLU
Notons également qu’en cours de discussion, les parlementaires ont abandonné deux mesures.
La première prévoyait d’instaurer une procédure de filtre, sur le même format que celui existant devant le Conseil d’État. L’idée est de rejeter, rapidement, les recours irrecevables ou dénués de moyens sérieux. Même s’il s’agit d’une mesure réclamée depuis longtemps par les professionnelles de l’immobilier, il existe déjà un moyen de rejeter rapidement un recours irrecevable. En effet, le juge administratif peut rejeter, par ordonnance, les requêtes manifestement irrecevables et celles comportant des moyens infondés, inopérants ou non assortis de précisions suffisantes (art. R. 222-1 du code de justice administrative). L’instauration d’une procédure de filtre a donc été abandonnée.
Par ailleurs, les parlementaires avaient également prévu de fixer un délai de jugement de 6 mois, pour les recours portant sur des projets de logements sociaux. Inspirée de ce qui existe déjà en matière de logements (où le délai est de 10 mois), la mesure a été abandonnée. Si cette mesure est louable, elle reste purement théorique, en l’absence de mécanismes contraignants pour les tribunaux.
Notons enfin que le législateur avait également prévu de réguler l’accès au prétoire dans le cadre des contentieux contre les documents d’urbanisme. L’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme prévoyait en effet que seules les personnes « ayant pris part à la participation du public effectuée par enquête publique » pouvaient contester les décisions d’approbation ou de modification d’un PLU. Ce filtre aurait permis de limiter le nombre de recours introduits à l’encontre des documents d’urbanisme. Cette mesure a cependant été censurée par le Conseil constitutionnel, aux motifs qu’elle portait une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel.
Quels enseignements retenir de l’ensemble de ces nouvelles dispositions ?
Ces nouvelles dispositions s’inscrivent, nous l’avons dit, dans le cadre des piliers existants consistant à réguler l’accès au prétoire, à sécuriser les projets et à accélérer le traitement des contentieux. Surtout, les mesures introduites par la loi de simplification accentuent encore davantage le caractère dérogatoire du contentieux de l’urbanisme. À côté d’un droit de l’urbanisme dense, technique et très évolutif, le contentieux propre à cette matière se singularise encore par rapport aux autres contentieux administratifs.
Les problématiques rencontrées par les porteurs de projet sont au cœur des problématiques juridiques actuelles traversées par une tension entre le nécessaire respect des règles applicables et le besoin de sécuriser les opérations, nonobstant les éventuelles illégalités dont sont entachés les PLU et les autorisations d’urbanisme. Les exigences de sécurité juridique se déclinent ainsi au pluriel, souvent de façon novatrice, en droit de l’urbanisme.
Enfin et malgré l’arsenal de mesures hétéroclites prévues, la loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement ne provoque pas le choc de simplification attendu. Or, c’est bien par une simplification massive des règles applicables que le législateur réussira à relancer et à soutenir durablement le marché immobilier.
Notes
- Fédération française du bâtiment, « Le bâtiment en chiffres 2024 », publié en juin 2025
- Le Conseil constitutionnel a en effet jugé conforme à la Constitution cette nouvelle règle contentieuse dans sa décision n° 2025-896 DC du 20 novembre 2025
- Le lendemain de la publication au Journal officiel de la loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement
- CE, Ass., 18 mai 2018, Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT, req. n° 414.583










