Interview
Propos recueillis par Florence Petros
Il enrobe par son rire chaleureux la pièce où il se trouve. David Théodorides, chanteur (il est baryton) et mélomane, a l’art d’enthousiasmer, de faire avancer et de découvrir.
Apprécié autant par les mélomanes que par les artistes, il est aussi un entrepreneur et un organisateur : David a créé et dirigé pendant 30 ans le Festival Sinfonia en Périgord, une référence dans la musique baroque. La curiosité, le risque éditorial ont toujours été dans ses réflexes naturels, comme en témoigne son parcours, imprégné depuis toujours par la musique et la culture.
Il est aujourd’hui le directeur du Centre Culturel de Rencontres de l’Abbaye aux Dames de Saintes. Un lieu d’exception, tourné vers la musique et qui propose en juillet un festival très reconnu.
Vous dirigez le Centre Culturel de Rencontre de l’Abbaye aux Dames de Saintes, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est un centre culturel de rencontre ?
David Théodorides : Ce Label d’Etat pour un lieu culturel a été créé en 1974. Il s’agissait alors de rendre une vie culturelle à des sites patrimoniaux emblématiques sur le territoire ayant perdu leur vocation initiale. Autour d’un projet artistique, les CCR développent ainsi une mise en valeur du patrimoine matériel et immatériel, permettant à ces sites majestueux de retrouver une vitalité propre à rayonner sur un vaste territoire et réunir des publics divers. L’abbaye aux Dames de Saintes à obtenu ce label en 1996. Depuis, nous mettons en œuvre un projet annuel reposant tant sur une expérience patrimoniale innovante, que sur une exploration de tous les répertoires de la musique classique, avec une attention particulière au musiciens issus du mouvement baroque. Visiter le lieu, y dormir, venir y écouter des concerts d’exception, accueillir des artistes, faire vivre un territoire toute l’année c’est à la fois rendre honneur à la grande histoire de cette abbaye et partager avec le plus grand nombre notre passion pour la vitalité artistique et culturelle.
Quel regard portez-vous sur l’économie de la culture et sur les missions d’un centre culturel de rencontre ?
David Théodorides : Notre modèle économique à l’abbaye est assez atypique dans le concert des structures culturelles labélisées, puisque notre activité repose sur un financement paritaire entre le soutien apporté par la puissance publique et les ressources que nous sommes en capacité de générer par notre activité. Si la billetterie des concerts ou des visites patrimoniales sont des ressources importantes, nous développons aussi diverses activités commerciales de location d’espaces, d’hôtellerie, une boutique et un espace de restauration dont les recettes contribuent fortement à notre projet général. Réunir de nombreux mécènes autour de ce projet est aussi une attention forte. Qu’ils soient particuliers ou entreprises, fondations nationales ou entreprises locales chacun des mécènes qui nous accompagne est pleinement associé à la vitalité de nos projets et leur soutien participe activement du renouvellement régulier des propositions que nous adressons aux publics et visiteurs de l’abbaye. Ce modèle nous impose d’avoir une véritable vision entrepreneuriale. Sans renoncer à l’exigence artistique nous prenons un soin tout particulier à définir nos projets sur ce modèle économique, en évaluant systématiquement les impacts budgétaires et les attentes du territoire et des publics. Cette aventure à fait ses preuves depuis bientôt trente ans, en s’appuyant sur un goût certain pour l’innovation sans sacrifier la haute exigence en termes de qualité des projets que nous portons.
Vous avez un parcours atypique mais cohérent qui a toujours été tourné vers la musique : le chant, l’étude du piano, la programmation. Comment qualifieriez-vous votre rapport à la musique ?
David Théodorides : C’est une relation passionnelle. Je ne peux imaginer une vie sans musique. Il me semble que dans un monde fracturé, cette vibration est universelle. Elle permet de s’évader de soi pour aller à la rencontre de l’autre. En ce qui me concerne, elle me libère et me réconforte à chaque moment de doute. Je crois que chacun aspire à une forme d’harmonie, la musique nous en montre la voie.
C’est la raison pour laquelle j’ai choisi d’en faire profession. Plutôt que d’en conserver le plaisir égoïste, j’ai toujours souhaité partager au plus grand nombre ces émotions incroyables que l’on peut ressentir à l’écoute d’un artiste seul en scène, d’un orchestre, d’un opéra qui nous livre en toute sincérité son regard sur une œuvre dont la vocation tend à l’universalisme. En dirigeant l’Abbaye aux Dames dans lequel la musique est essentielle, j’ai un peu le sentiment d’œuvrer à cet apaisement dont le monde a tant besoin.
Le festival de
SAINTES
Du 12 au 19 juillet, le Festival de Saintes réunira la fine fleur musicale européenne, sélectionnée par Ophélie Gaillard, pour proposer une édition flamboyante où se conjuguent l’excellence des interprètes et la beauté des répertoires.
Au programme : 8 journées intenses de musique, 4 siècles de répertoire, et des artistes de légende !
Cette édition s’annonce belle. Embarquement immédiat !
Revenons à l’actualité, celle du festival de Saintes qui se déroulera du 12 au 19 juillet quels en seront les temps forts ?
David Théodorides : Le festival en soit est un temps fort, dans une activité musicale qui se déploit tout au long de l’année. Mais il est une évidence que ces 8 jours de musique et ces 29 concerts ont de quoi réjouir les publics les plus divers. Des répertoires baroques à la musique romantique, nous aborderons tous les styles dans les formes les plus diverses. Et bien sûr ce seront quelques-uns des meilleurs artistes européens qui nous en feront lecture. Pour ma part, je suis très fier que Vincent Dumestre avec le Poème Harmonique vienne pour la première fois dans ce festival, que le Concert Spirituel reprenne ici, la messe à 40 voix d’hommes de Striggio qui a marqué la scène musicale il y a près de 15 ans. Nous sommes naturellement heureux que Philippe Herreweghe qui a tant compté dans ce festival soit cette année encore présent, mais encore Sandrine Piau avec Pulcinella, et tant d’autres…J’ai un peu le sentiment de faire injure à tout ceux que je n’ai pas cité ici, alors que j’ai une immense admiration pour leur travail et une grande gratitude pour leur présence à cette édition. Pour autant, si je devais conclure sur un événement qui nous touche particulièrement cette année, c’est ce concert de clôture, à la belle étoile dans les jardins de l’Abbaye, avec Jean François Heisser qui dirigera pour la dernière fois son orchestre de Chambre de Nouvelle Aquitaine dans un programme extraordinaire. Beethoven et Dvorak seront à l’honneur devant plus de 1500 spectateurs, avec le fameux concerto pour l’Empereur et la symphonie du nouveau monde. Une façon de dire qu’on peut être populaire sans renoncer à la beauté et à l’exigence d’une soirée d’exception.
Cette nouvelle édition est signée par la violoncelliste Ophélie Gaillard, qui succède à Hervé Niquet et ce pour 2 ans. Pourquoi ces choix de DA pour une durée limitée ?
David Théodorides : Durant plus de 5 décennies, la programmation du festival a été le fait d’un seul homme. Alain Pasquier son fondateur, Philippe Herreweghe qui lui succéda dans les années 80 et enfin Stéphane Macijiewski. Au départ en retraite de ce dernier, j’avais envie de rendre le festival à ceux qui l’ont bâti, en ont construit année après année la réputation. En ont fait cet espace un peu singulier dans le paysage européen de découverte, d’innovation musicale, de temple de la musique dans ce lieu magique. C’est ainsi que j’ai imaginé faire appel à des artistes qui ont marqué de leur empreinte le festival en leur confiant les clefs du festival pour 2 éditions. C’est un beau cadeau qu’ils nous font en acceptant le challenge de bâtir une programmation qui respecte tant l’histoire de ce festival et ses traditions et qui apporte un regard renouvelé sur ce que le festival doit être en 2025.
C’est un travail intense pour eux qui n’ont pas fini de se produire, enseigner, un peu partout dans le monde à la tête de leurs ensembles, en chef ou soliste invité…Ces deux années leur demande une énergie folle, durant laquelle ils doivent aussi écouter, découvrir, chercher des artistes et des projets qui permettront au festival d’être le reflet fidèle d’un monde musical bouillonnant.
Finalement, ce renouvellement régulier de direction artistique est aussi la promesse de surprises et de découvertes à foison.
Quels sont vos coups de cœur musicaux du moment ?
David Théodorides : Dans un registre très différent des répertoires que nous aborderons au festival cette année, en ce moment, je me régale à l’écoute de l’intégrales des études de Philip Glass enregistrées par Vanessa Wagner pour le label inFine.
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