Le musicien français évoque l’univers singulier du compositeur japonais Tōru Takemitsu
Entre raffinement sonore et poésie du silence, l’univers de Tōru Takemitsu fascine les musiciens. Figure majeure de la musique japonaise du XXᵉ siècle, il a su marier tradition et modernité, Orient et Occident, dans une écriture à la fois libre, lumineuse et pleine de mystère. Le guitariste Philippe Mouratoglou, fin connaisseur de son œuvre, évoque ici la découverte de cette musique « du son de la surprise », son équilibre entre ombre et lumière, et la place unique qu’elle occupe aujourd’hui dans le répertoire pour guitare.
Interview
ENTRETIEN
Avec Philippe Mouratoglou
Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez entendu une oeuvre de Takemitsu? Laquelle? Qu’est-ce qui vous touche, qu’avez-vous ressenti?
Lors d’un stage de guitare avec Pablo Márquez - qui est devenu plus tard mon professeur – un participant jouait le 3ème « Folio » de Takemitsu; les « Folios » datent de 1974 et sont la première oeuvre de Takemitsu pour guitare seule. Ce qui m’a touché c’est que j’étais incapable de situer cette pièce , c’était vraiment le « son de la surprise », complètement étonnant et déroutant ; une musique ni tonale ni vraiment atonale puisqu’on y reconnaît certaines séquences harmoniques qui viennent du système tonal avec parfois une forte coloration « jazz », avec une sensation rythmique très flottante, une grande variété de couleurs… Si l’on ajoute à cela que la pièce se termine avec une citation de la « Passion selon Saint Matthieu » de Bach, on termine l’écoute de la pièce dans une totale perte de repères - mais on est délicieusement perdu car on a traversé un paysage continuellement changeant et assez merveilleux…
Comment définiriez-vous son univers musical?
L’univers musical de Toru Takemitsu nous apparaît comme très singulier, mais il est paradoxalement difficile à définir clairement. Son oeuvre se caractérise par une grande diversité de genres et de langages musicaux: il écrit de la musique pour le concert mais également pour le cinéma (il a notamment composé la musique de nombreux films de Akira Kurosawa, dont le célèbre « Ran »), il compose pour le théâtre, la radio, écrit des chansons, il fait de la musique électro-acoustique, des arrangements de chansons des Beatles…
On peut aussi déceler dans son oeuvre l’influence de la musique française, notamment Claude Debussy avec lequel il partage l’attachement à la nature - ce que l’on retrouve dans nombre de titres de ses oeuvres (In the woods, Rain Tree, I hear the water dreaming…), et Olivier Messiaen, ou encore celle de John Cage; l’influence du jazz également.
Il a absorbé toutes les innovations de la musique occidentale de l’époque: musique sérielle, musique concrète… Son oeuvre est également profondément marquée par la musique traditionnelle japonaise et par l’art japonais en général. Il a écrit des oeuvres comme « November steps » en 1967 pour Biwa, shakuhachi et orchestre, ou « In an autumn garden » pour orchestre de gagaku (1973-1979), un ensemble d’instruments traditionnels japonais.
En réalité, le coeur de la méthode compositionnelle de Takemitsu est une recherche de ses propres idées par la confrontation avec celles des autres. Ce qu’il recherche, c’est la création d’un langage musical universel et c’est certainement ce qui en fait un grand compositeur. Selon son expression, il « fait de la musique occidentale en étant japonais ».
Parmi ses oeuvres pour guitare, laquelle vous semble la plus représentative de son univers? Pourquoi?
Equinox (1993), composée 2 ans avant sa mort. D’une part c’est une pièce tardive oùn son style est parvenu à une grande maturité; d’autre part c’est la seule pièce écrite pour guitare seule qui n’est pas sous forme de cycle, c’est une pièce en un seul mouvement.
C’est la pièce dans laquelle - comme le laisse entendre son titre - on entend de le façon la plus évidente ce qui est une des carctéristiques essentielles de la musique de Takemitsu, l’ équilibre entre lumière et ombre (ce qu’il définissait d’ailleurs comme étant la couleur de la musique de Debussy).
Tōru Takemitsu
PAR PHILIPPE MOURATOGLOU
Quelle place occupe Takemitsu dans le répertoire pour guitare d’aujourd’hui?
Il est l’un des très grands compositeurs du 20ème siècle qui se sont intéressés à la guitare, et dans son cas tout au long de sa carrière puisqu’il a écrit pour guitare seule, guitare et orchestre, ou musique de chambre avec guitare de 1961 (Ring, flûte, guitare et luth) à 1995 (In the Woods). À ce titre il est l’un des compositeurs du 20ème siècle qui a le plus contribué à renouveler le répertoire pour guitare et à le moderniser. Il y en a d’autres, et pas des moindres: Benjamin Britten, Eliott Carter, Luciano Berio…
Si vous pouviez poser une seule question à Takemitsu?
J’ai écrit un morceau que j’ai appelé « Shamisen » et qui évoque l’univers sonore de cet instrument traditionnel japonais et que je joue en duo avec le batteur espagnol Ramón López. J’aimerais lui faire écouter et lui demander ce qu’il pense de cette pièce franco-hispano-japonaise… Et j’aimerais bien sûr lui jouer ses pièces pour guitare et lui demander « Ai-je un tant soit peu compris ta musique, ou suis-je complètement passé à coté? »


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