Interview
Entre héritage et innovation, les clés du « Made in Italy »
Daniel Gava est une figure incontournable du paysage du design international. Avec plus de vingt-cinq ans d'expérience au sein de fabricants de meubles de luxe en Europe et aux États-Unis, ce conseiller stratégique indépendant, basé à Londres depuis 2011, œuvre comme un pont précieux entre les idées et leur réalisation. Reconnu pour sa capacité à connecter les personnes et à catalyser l'innovation, il est également un ambassadeur passionné de la culture du design italien. Nous lui avons demandé de partager son regard sur l'évolution, la valeur et le futur du "Made in Italy".
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La perception du design italien
Votre rôle d’ambassadeur pour de grandes marques italiennes est singulier. Concrètement, en quoi consiste-t-il ? Vous voyez-vous plutôt comme un “traducteur” de tendances ou comme le “gardien” d’un patrimoine ?
Daniel Gava : Sur le plan professionnel, c'est un immense privilège de pouvoir contribuer à l'impact des grandes marques de design italien, particulièrement au sein de le design community londonienne. Être ambassadeur du design italien aujourd'hui signifie évoluer entre deux dimensions : la sauvegarde et l'évolution constante. D'un côté, il s'agit de préserver un patrimoine culturel unique, fait de qualité, de recherche et de mémoire collective ; de l'autre, il faut interpréter un langage en perpétuelle transformation, capable de dialoguer avec le business contemporain. Mon rôle est de traduire les codes du design italien pour les rendre lisibles et désirables sur les marchés globaux, sans en dénaturer l'essence. C'est un équilibre subtil : être fidèle à la tradition tout en étant capable d'innover.
Depuis Londres, comment évolue la perception du design italien ? Le « Made in Italy » garde-t-il son aura ou le marché attend-il autre chose ?
Daniel Gava : Le respect pour le « Made in Italy » reste extrêmement fort, mais aujourd'hui, il ne suffit plus. L'idée du beau et du bien fait reste centrale, mais elle doit être accompagnée d'un contenu, d'une éthique et d'une « raison d'être ». Le public international, qui inclut les architectes, les promoteurs et les designers d'intérieur, recherche de l'authenticité et de la cohérence : il veut comprendre non seulement ce qu'il achète, mais aussi pourquoi ce produit existe. En ce sens, le design italien continue de bénéficier d'un avantage, car derrière chaque objet, il y a une histoire, une recherche et un savoir-faire artisanal. Le défi est de réussir à le faire percevoir de manière contemporaine.
Selon votre expérience, quels sont les trois mots qui définissent le design italien contemporain aujourd'hui ? Et en quoi diffèrent-ils de ceux que nous aurions utilisés il y a 20 ans ?
Daniel Gava : Aujourd'hui, je dirais : Culture, Empathie, Évolution. Culture, parce que chaque projet naît d'une stratification de vision, d'histoire et de pensée. Empathie, parce que le design contemporain est une relation, un bien-être et un dialogue avec ceux qui vivent les espaces. Évolution, parce qu'aujourd'hui le design doit savoir réinventer les matériaux, les processus et les usages dans une optique durable. Il y a vingt ans, les mots clés auraient été esthétique, forme et prestige. Aujourd'hui, l'accent s'est déplacé sur l'impact culturel et social.
Design et
VALEUR
En quoi l’intégration de pièces iconiques de design italien peut-elle influencer la perception — et la valeur — d’un bien immobilier ? Auriez-vous un exemple concret ?
Une pièce de design italien est bien plus qu'un élément de décoration : c'est un marqueur d'identité et de valeur. Dans un bien immobilier, sa présence devient un signe culturel qui communique le goût, l'attention portée aux détails et la profondeur de la réflexion conceptuelle. Il suffit de penser au hall d'un immeuble résidentiel : quelques éléments de design italien peuvent le transformer en un lieu qui exprime l'élégance, le soin apporté et une réelle conscience esthétique. Cette première impression élève immédiatement la perception de l'ensemble et, par conséquent, la valeur réelle de l'intégralité du bien immobilier.
Le bureau devient un lieu hybride, entre confort domestique et services hôteliers. Comment les marques de design italien y répondent-elles — via des aménagements modulaires, des assises d’inspiration résidentielle ou d’autres solutions qui humanisent le travail ?
Daniel Gava : Les marques italiennes sont en train de redéfinir l'environnement de travail avec une approche réellement centrée sur l'humain. Le bureau n'est plus un lieu dédié à la seule efficacité, mais un espace qui doit générer un sentiment d'appartenance et de bien-être. Certaines entreprises apportent au monde « corporate » la même sensualité des matériaux que l'on trouve dans le résidentiel, d'autres travaillent sur la modularité, la légèreté et le confort visuel. Toutes partagent une philosophie commune : faire du lieu de travail une extension de soi-même, et non sa négation.
Dans un projet d’intérieur, comment trouver l’équilibre entre pièces iconiques — véritables investissements — et éléments plus contemporains ou expérimentaux ?
Daniel Gava : Le secret réside dans le dialogue. Les pièces iconiques représentent l'ossature culturelle d'un espace : elles racontent des racines, une solidité et une reconnaissance immédiate. Les éléments contemporains, en revanche, apportent une tension créative, de la surprise et de la personnalité. L'équilibre naît du dosage de ces deux pôles, en créant une narration cohérente entre eux, avec l'architecture qui les accueille et avec le parcours de vie des occupants. Il s'agit de ne jamais transformer l'environnement en un musée ou en un simple exercice de style.

Quelles tendances émergentes du design contract — hôtels, bureaux, résidences de luxe — rendent aujourd’hui les marques italiennes particulièrement recherchées ?
Daniel Gava : Plusieurs directions s'affirment avec force :
- L'hospitalité domestique, où l'hôtel devient une maison et la maison adopte les codes de l'hôtellerie.
- Le biophilique design, qui intègre la lumière naturelle, les matériaux organiques et la végétation dans les intérieurs.
- Les neurosciences appliquées au design, qui guident la conception des espaces de travail en fonction du bien-être psychophysique des utilisateurs.
- Enfin, la personnalisation, avec des intérieurs de plus en plus sur mesure, capables de raconter une identité et de rendre chaque environnement unique.
Les marques italiennes excellent parce qu'elles parviennent à unir l'innovation technologique, la chaleur humaine et une attention sur mesure : une combination que le monde continue de nous reconnaître.
Durabilité et innovation matérielle sont désormais incontournables. Comment les grandes marques italiennes avancent-elles sur ce terrain sans renier leur tradition artisanale ?
Daniel Gava : Les grandes marques ont compris que la durabilité n'est plus un thème à communiquer, mais à intégrer. L'ensemble de la filière de l'ameublement se transforme pour proposer des solutions toujours plus innovantes et responsables. Tout cela se fait sans renoncer au travail manuel et à la poésie de l'empreinte artisanale. C'est une sorte de nouveau renaissance matérielle.
Y a-t-il un designer, un artisan ou une marque émergente italienne qui, selon vous, mérite absolument d'être découverte par le public international ?
Daniel Gava : Il existe de nombreux talents intéressants, mais personnellement, je trouve fascinant le mélange d'expériences diverses. Je citerai RedDuo, un studio émergent de design d'intérieur fondé par des professionnels ayant une solide expérience dans la mode, et qui apportent aujourd'hui au secteur des idées et des matériaux innovants. C'est une contamination créative qui exprime bien la vitalité et la nouvelle éthique du design italien contemporain.
Investir dans une
HISTOIRE
Pour un lecteur souhaitant investir dans une première pièce iconique sans budget illimité, quel objet ou quelle marque conseilleriez-vous pour débuter — fauteuil, lampe ou autre ?
Avant même de choisir un objet, je suggérerais d'investir dans une histoire. La valeur du design italien réside dans sa capacité à incarner une pensée, pas seulement une forme. Je pense au « radical design » des années 70, à l'ironie postmoderne du mouvement Memphis dans les années 80, et à la recherche sur les matériaux et la technologie des années 90 : des périodes durant lesquelles des designers extraordinaires ont créé des pièces qui restent d'une actualité frappante aujourd'hui. Choisir un objet qui évoque cet esprit, c'est apporter chez soi non pas une marque, mais un fragment de liberté créative.
Crédits
- Portrait de Daniel Gava : © Ivan Weiss
- Courtesy Kartell, Zanotta et Bebitalia


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