Interview
Le point droit de la copropriété avec Charles Bohbot
C’est le moment de retrouver notre ami et avocat Charles Bohbot pour un point juridique. Au programme aujourd’hui un sujet qui intéresse tellement de monde, qui nourrit tellement de discussions en copropriété : les travaux en copropriété et leur autorisation. Quand le propriétaire peut-il faire valoir sa liberté d’aménagement intérieur et quand doit-il solliciter de l’assemblée générale une autorisation ? Évidemment nous parlerons aussi du sort des travaux réalisés sans autorisation, sinon ce podcast ne serait ni intéressant ni complet.
Travaux en copropriété : le copropriétaire doit-il demander l’autorisation ?
Cerner les droits et obligations en matière de travaux entrepris par un copropriétaire et la nécessité d’aller solliciter l’assemblée générale.
Lorsqu’un copropriétaire envisage des travaux dans son lot, il les considère souvent comme de simples aménagements : abattre une cloison, intégrer des loggias, installer une climatisation ou un système d’extraction nécessaire à son activité de restauration… Parfois, il sollicite l’accord de l’assemblée générale : conscient de l’impact possible sur la structure de l’immeuble ou sur les parties communes. D’autres fois, il s’en dispense au regard du principe de libre affectation de son lot. Alors, certains membres du conseil syndical curieux ou inquiets souhaitent savoir ce qui se passe à l’intérieur. Peuvent-ils y avoir accès ou demander au syndic ?
1. Une liberté encadrée
En principe, un copropriétaire peut entreprendre des travaux à sa convenance dès lors qu’ils restent strictement limités à l’intérieur de son lot privatif. Ainsi, la jurisprudence reconnaît que les copropriétaires disposent d’une liberté d’aménagement intérieur, sans autorisation préalable (TGI Paris, 13 mars 1975 : D. 1976, inf. rap. p. 70 ; CA Paris, 3 mars 1988 : D. 1988, inf. rap. p. 99 ; Cass. 3e civ., 28 avr. 1993, no 91-11.296 ; CA Paris, 19 oct. 2000, no 1999/11346 : à propos de la transformation d'une cave en salon de coiffure).
Cette souplesse se manifeste fréquemment à propos de la modification unilatérale effectuée par un copropriétaire transformant les greniers, les buanderies et autres celliers en pièces habitables (Cass. 3e civ., 16 oct. 1979, no 78-12.612 ; Cass. 3e civ., 5 oct. 1994, no 92-12.031, Bull. civ. III, no 168,; CA Paris, 20 mars 1980 ; CA Paris, 5 juill. 1995, nos 94/18389 et 94/19230). Ainsi, l’affectation ou la destination d’un lot n’est pas figée, le copropriétaire peut en disposer sous réserve de deux conditions.
En application de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 les travaux du copropriétaire ne doivent ni porter atteinte à la destination de l’immeuble, ni nuire aux droits des autres copropriétaires. La transformation d'un entrepôt en emplacements de parking ne peut être sanctionnée que s'il n'est pas démontré qu'elle porte atteinte aux droits des copropriétaires ou à la destination de l'immeuble.(Cass. 3e civ., 10 sept. 2020, n° 18-23.797 : JurisData n° 2020-013088,).
A propos de cet arrêt, le professeur Christelle COUTANT-LAPALUS rappelle que « La réalisation de travaux portant sur les parties privatives d'un lot ne requiert pas, en principe, d'autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires. Seule une atteinte aux droits des copropriétaires, à la destination de l'immeuble ou un impact sur les parties communes peut justifier d'exiger une telle autorisation, et, à défaut, conduire à l'interdiction de la réalisation des travaux. » (Loyers et Copropriété n° 11, Novembre 2020, comm. 120).
Ainsi, cette liberté d’effectuer ces travaux n’est pas absolue.
Sur la contrariété à la destination de l’immeuble :
- l'installation d'une activité commerciale dans des appartements en étage alors que le seul rez-de-chaussée de l'immeuble est à usage commercial ( Cass. 3e civ., 20 mai 1998, n° 96- 16.235 : Loyers et copr. 1998, comm. 225 ) ;
- l'installation d'une salle de jeux " Lasers " dans un immeuble de grand standing ( Cass. 3e civ., 23 mai 2006 : Administrer août-sept. 2006, p. 54 )
Sur l’atteinte aux droits des autres copropriétaires :
- le changement d’affectation d’un débarras en pièce d’appartement d’habitation, dans la mesure où cela portait atteinte aux droits d’un autre copropriétaire, qui perdait ainsi le bénéfice, pour les nuisances sonores, d’un appartement au dernier étage à usage d’habitation. L'arrêt précise qu’un tel changement aurait nécessité une autorisation, en l’espèce à l’unanimité ( Cass. 3e civ., 5 juill. 2011, n° 09-71.263 ) ;
- Modification des revêtements de sols dont les qualités phoniques moindres que le revêtement d'origine entraîneraient des nuisances sonores pour les occupants de l'appartement situé en dessous : ( Cass. 3e civ., 15 janv. 2003, n° 01-14.472 : JurisData n° 2003-017316)
2. Quand une autorisation est requise ?
D’abord, le copropriétaire doit solliciter une autorisation afin de s’approprier une partie commune : en fermant une loggia en intégrant la superficie créée dans son lot, lors de la construction d’une toiture-terrasse, voire en intégrant un bout de couloir (Guide de la Copropriété, 2025/2026 ; Agnès Lebatteux, page 558). Dans certains cas, il s’agira même d’une cession d’une partie commune.
Ensuite, une autorisation administrative délivrée (déclaration de travaux, permis de construire) ne vaut pas autorisation d’assemblée générale. Cass.3ème civ. 7 mars 1990, n°88-14.392)
Enfin, selon ce régime d’autorisation, si les travaux du copropriétaire impactent les parties communes ou modifient l’aspect extérieur de l’immeuble, une autorisation préalable de l’assemblée générale est obligatoire.
Elle sera votée à la majorité absolue, conformément à l’article 25 b) de la loi du 10 juillet 1965. Cette autorisation est requise, même si le règlement de copropriété :
- permet à l’avance au copropriétaire de faire certains travaux sans autorisation (Cass.3ème civ. 11 mai 2005, n°03-19.183 ; aussi l’autorisation préalable donnée par le promoteur avant la livraison ne vaut pas autorisation (Cass. 3e civ., 30 mai 2024, n° 22-23.878 : JurisData n° 2024-008419) ;
- stipule qu’une simple autorisation de l’architecte de l’immeuble, ou du conseil syndical serait suffisante (Cass.3ème Civ ; 11 février 2009, n°07-21.318 ; - CA Versailles, 22 sept. 2016, n° 15/048 et 15/07282 : JurisData n° 2016-019395 CA Versailles, 4e ch., 2e sect., 23 oct. 2017, n° 15/07799 : JurisData n° 2017-020995 )
En effet, la compétence exclusive de l’assemblée d’autoriser pour autoriser des travaux concernant les parties communes ne peut être « spoliée » par un autre organe ou acteur. Il existe toutefois des exceptions afin de faciliter : les travaux d’accessibilité, le droit à la fibre optique, à l’antenne et enfin le droit à la prise permettant l’installation d’une borne de recharge pour voiture électrique.
L'article 25-2 de la loi du 10 juillet 1965 (modifié par l’ordonnance du 30 octobre 2019) prévoit que : "Chaque copropriétaire peut faire réaliser, à ses frais, des travaux pour l'accessibilité des logements aux personnes handicapées ou à mobilité réduite qui affectent les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble. A cette fin, le copropriétaire notifie au syndic une demande d'inscription d'un point d'information à l'ordre du jour de la prochaine assemblée générale, accompagnée d'un descriptif détaillé des travaux envisagés."
Cependant, l'alinéa 3 de l'article 25-2 vient compléter cela en stipulant : "L'assemblée générale peut, à la majorité des voix des copropriétaires, s'opposer à la réalisation de ces travaux par décision motivée par l'atteinte portée par les travaux à la structure de l'immeuble ou à ses éléments d'équipements essentiels, ou leur non-conformité à la destination de l'immeuble.".
3. Travaux réalisés sans autorisation : ratification ou action en justice ?
Si un copropriétaire réalise des travaux nécessitant une autorisation sans l’avoir obtenue, le syndicat des copropriétaires peut engager une action en justice pour exiger la remise en état des lieux à ses frais. Cette demande doit être validée par une décision judiciaire, le syndic ne pouvant pas procéder d’office à la remise en conformité.
Les juges, dans ce cadre, ne prennent pas en compte l’impact économique d’une telle remise en état, privilégiant le respect des règles en copropriété (CA Paris, pôle 4, 2e chambre, 26 octobre 2022, n°17/08201 : JurisData n°2022-018687). Toutefois, afin d’éviter un contentieux, l’assemblée générale peut décider de régulariser les travaux a posteriori en accordant une autorisation rétroactive. Cette validation suppose généralement un dossier technique solide et, dans certains cas, une contrepartie proposée par le copropriétaire en faute pour obtenir l’abandon d’une éventuelle procédure.
Conclusion
Avant d’entamer des travaux en copropriété, il est essentiel de bien identifier leur nature et les règles applicables. Si certains aménagements intérieurs sont libres, toute intervention affectant les parties communes ou l’aspect extérieur doit être soumise à l’approbation de l’assemblée générale. En cas d’irrégularité, la remise en état peut être exigée, sauf si une régularisation est obtenue. Anticiper ces obligations permet d’éviter des conflits et d’assurer la conformité des travaux avec la réglementation en vigueur.

