Note juridique
La loi n°65-557 du 10 juillet 1965 régissant le statut de la copropriété des immeubles bâtis distingue clairement la propriété des parties communes de leur usage. En principe, les parties communes sont l’objet d’une propriété indivise entre les copropriétaires, qui en usent et jouissent librement. Lorsqu’un copropriétaire est le seul à avoir accès à une partie commune, il peut donc bénéficier d’un droit de jouissance exclusif sur cette partie.
Dans ce cadre, il est fréquent que certains copropriétaires se voient attribuer un droit de jouissance privative sur une partie commune. Il peut s’agir d’une terrasse, d’une cour, d’un balcon, de combles, d’un couloir, d’un emplacement de stationnement ou encore d’un jardin.
Par ailleurs, il ne faut pas confondre le droit de jouissance exclusive avec le droit de propriété, ni avec le lot de jouissance. La jouissance exclusive sur une partie commune désigne un simple droit d’usage, qui est attribué au copropriétaire ayant l’usage de cette partie.
L'espace demeure une partie commune dont l'usage, contrairement à la définition de principe posée par l'article 3 de la loi du 10 juillet 1965, est ici réservé à un seul copropriétaire.
L'avantage de la qualification est de restreindre la liberté individuelle en évitant des changements d'usage ou des aménagements préjudiciables à la collectivité. Le droit conféré est réel et perpétuel (Civ. 3e, 4 mars 1992, no 90-13.145, Bull. civ. III, no 73 ; D. 1992. 386, note Atias ; AJDI 1993. 87 et 88, obs. Ritschy ; RDI 1992. 240, obs. Capoulade et Giverdon ; RTD civ. 1993. 162, obs. ZenatiZenati) réservant la jouissance exclusive d'un bien indivis à l'un des copropriétaires.
Il est possible de déterminer les possibilités d'usage qui lui sont laissées avec plus de précision que si une pleine copropriété lui était attribuée (GIVERDON, RTD civ. 1976.165. – VIATTE, La jouissance exclusive d'une partie commune, Rev. Loyers 1975. 431).
Une meilleure compréhension du droit de jouissance en copropriété et de son régime juridique passe par l’examen des questions listées ci-dessous :
- Qu’est-ce qu’une partie commune à jouissance privative ?
- Quels sont les fondements de l’attribution de ce droit de jouissance ?
- Quels sont les effets et limites du droit de jouissance exclusive ?
- Comment sont réparties les charges d’entretien d’une partie commune à jouissance privative ?
Qu’est-ce qu’une partie commune à jouissance privative ?
Le droit de jouissance privative constitue un droit d’usage exclusif, octroyé à un copropriétaire sur une partie commune, sans transfert de propriété. Il ne s’agit donc pas d’un démembrement de propriété, mais d’un droit accessoire au lot principal (Cass. 3e civ., 18 déc. 2001, n° 00-17.209).
La Cour de cassation a réaffirmé à plusieurs reprises que ce droit reste un usage particulier d’une partie commune qui demeure indivise entre tous les copropriétaires, et que ce droit ne peut être cédé indépendamment du lot auquel il est attaché.
Quels sont les fondements de l’attribution de ce droit de jouissance ?
Deux fondements sont envisageables :
1. Ab initio : par le règlement de copropriété :
L’existence des parties communes à jouissance privative est subordonnée à leur mention expresse dans le règlement de copropriété (Loi de 1965, art. 6-4). Le règlement de copropriété précise « le cas échéant », les charges que le titulaire de ce droit supporte.
En revanche, le défaut de mention de l'existence du droit lui-même le rend tout simplement inopposable au syndicat de copropriété. Sa seule référence dans l'état descriptif ne saurait être satisfaisante.
Il convient donc de procéder à la mise à jour des règlements lorsque l'immeuble comporte de tels droits, et ce, selon la procédure prévue à l'article 24-II-f° de la loi du 10 juillet 1965. La loi ÉLAN impose qu'à compter de sa promulgation et jusqu'au 23 novembre 2021, le syndic inscrive à l'ordre du jour de chaque assemblée générale la question de la mise en conformité du règlement de copropriété dont relève la situation des parties communes à jouissance privative.
2. En cours de vie de la copropriété : par décision de l’assemblée générale :
En l’absence de disposition initiale, le droit peut être attribué par une décision à la majorité de l’article 26 (majorité des membres représentant au moins les deux tiers des voix), dès lors qu’il modifie la répartition des droits entre copropriétaires (Cass. 3e civ., 25 nov. 2009, n° 08-18.303).
Le droit de jouissance est nécessairement l’accessoire à un lot et ne peut en aucun cas constituer la partie privative d’un lot. S’il est attribué à un lot, le droit de jouissance exclusive est permanent : il sera transmis avec le lot, en cas de succession, de vente ou de décès. En effet, ce droit est indissociable de ce lot. (Article 6-3 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965).
Quels sont les effets et limites du droit de jouissance exclusive ?
Le droit de jouissance privative confère une utilisation exclusive, mais non absolue. Il doit s’exercer dans le respect de la destination de l’immeuble (art. 8 de la loi de 1965) et sans causer de trouble anormal de voisinage.
En cas d’abus ou de dénaturation de la partie commune, la copropriété peut engager une action en suppression ou modification du droit de jouissance, voire en réparation ([CA Paris, 23e ch. B, 25 janv. 2007, n° 05/14950]). Le copropriétaire qui bénéficie de la jouissance privative d'une partie du terrain qualifiée partie commune n'est pas pour autant titulaire du droit de construire ou d'affouiller le sol (Civ. 3e, 15 janv. 1980, RDI 1980. 456, obs. Givord et Giverdon). Il doit en respecter la destination (Civ. 3e, 22 juill. 1987, no 86-11.433, D. 1987. 187. – Comp. Civ. 3e, 18 juin 2013, no 12-17.899).
Le copropriétaire qui en profite peut procéder, sans autorisations, à quelques aménagements dès lors qu’ils ne viennent pas troubler la tranquillité de la copropriété et qu’ils sont effectués dans le respect de son règlement. Ainsi, il est possible d’installer sur cet espace des bacs à fleurs, du mobilier de jardin, des installations superficiels etc.
En outre, le copropriétaire ne peut ni modifier la configuration de la partie commune (clôture, construction...), ni en changer la destination sans autorisation des autres copropriétaires. Le syndicat peut engager une action pour remise en état ou révocation du droit, notamment en cas de trouble ou de modification non autorisée ([Cass. 3e civ., 15 déc. 2016, n° 15-26.100]).
Comment sont réparties les charges d’entretien d’une partie commune à jouissance privative ?
En ce qui concerne son entretien, il convient de se référer au règlement de copropriété. Ce dernier peut mettre à la charge du copropriétaire qui en bénéficie certains frais. À titre d’exemple, si la partie commune est un jardin, l’entretien de la pelouse peut être confié au copropriétaire qui en a la jouissance.
A contrario, si des travaux importants doivent être réalisés dans une partie commune à usage privatif, ils doivent être votés en assemblée générale des copropriétaires et leur coût est réparti entre l’ensemble des copropriétaires.
Conclusion
L’attribution d’un droit de jouissance privative constitue un mécanisme permettant une individualisation raisonnée de l’usage des parties communes. Toutefois, elle nécessite un encadrement rigoureux pour éviter les atteintes aux droits collectifs des copropriétaires et respecter l’équilibre instauré par la loi du 10 juillet 1965. Il appartient donc au syndicat des copropriétaires et à l’assemblée générale d’assurer un juste contrôle de ce dispositif, afin que l’usage exclusif ne se mue pas en appropriation déguisée.
Un article écrit par Nassam Diab, juriste au sein du cabinet BJA Avocats.
Notes bibliographiques
- Tomasin, *La copropriété*, Dalloz, 12e éd., 2023
- Mekki, *Droit des biens*, LGDJ, 2022
- Peignot, « La jouissance privative sur partie commune », *Revue Loyers et Copropriété*, 2019
- Capoulade, « Parties communes et droits de jouissance exclusifs », *AJDI*, 2017, p. 33
- JurisClasseur Copropriété, Fasc. 20 : Jouissance des parties communes
- Le lot de jouissance en copropriété, article sur www.bjavocat.com ;
PODCAST
Simplification de la vie économique : « Un exemple de régulation mal maîtrisée » - Christophe NOEL, Fédération des Acteurs du Commerce dans les Territoires (FACT)
Le Projet de loi de simplification de la vie économique adopté le 17 juin à l’Assemblée Nationale suscite de vives inquiétudes, et c’est peu de le dire, chez les propriétaires de locaux commerciaux. Plusieurs mesures conduisent d’ailleurs l’avocat Gabriel Neu Janicki à écrire qu’on tire à « boulet rouge sur les bailleurs ».
Quelles seraient les conséquences du Projet de loi de simplification de la vie économique pour les bailleurs ? Comment interpréteront-ils le nouveau message que leur envoie l’Assemblée Nationale ? Les réponses de Christophe Noel, Délégué Général de la FACT, Fédération des Acteurs du Commerce dans les Territoires.

