Plus d’un milliard d’euros de biens immobiliers acquis ou préemptés par la Ville de Paris et les bailleurs sociaux
Nous recevons David Bourla, Directeur des Etudes et de la Recherche chez Newmark France. Paris sera au cœur de notre discussion, avec une étude unique publiée chez Newmark, Paris et sa politique du logement, Paris et son objectif d’atteindre 40% de logements « publics » en 2035. Comment la ville compte-t-elle faire pour remplir cet objectif ? Quelles seraient les conséquences à terme sur le marché immobilier parisien ? Autant de questions qui ont suscité chez notre invité des réponses documentées et passionnantes.
Ces 84 opérations représentent au total 1,1 milliard d’euros, ce qui fait des acteurs publics les principaux intervenants du marché, devant les privés et les institutionnels.
Plus d’un milliard d’euros de biens immobiliers acquis ou préemptés par la Ville de Paris et les bailleurs sociaux
Newmark, conseil international en immobilier, publie une étude consacrée à l’action des villes et des bailleurs sociaux face à la crise du logement et à ses conséquences pour le marché de l'investissement résidentiel.
En France, la crise du logement s’intensifie, aggravée par la forte chute de la production neuve. Selon l’Union sociale pour l’habitat, il faudrait ainsi construire près de 520 000 nouveaux logements par an entre 2024 et 2040 pour répondre aux besoins, soit bien plus que le niveau actuel des mises en chantier (264 000 lors des douze derniers mois, à fin septembre 2024).
Parmi ces 520 000 nouveaux logements, 198 000 devraient être des logements sociaux, soit plus du double de ceux financés chaque année depuis 2020. Le défi à relever est d’autant plus important que la crise écologique impose des réglementations plus strictes en matière de consommation de foncier.

L’utilisation de l’existant, au service d’une politique du logement plus volontariste
Dès lors, certains acteurs publics font évoluer leur stratégie, s’appuyant davantage sur l’utilisation du parc existant pour atteindre des objectifs de production très ambitieux. A Paris, l’objectif de la municipalité est ainsi d’atteindre 40 % de logements « publics » d’ici 2035, dont 30 % de logements locatifs sociaux et 10 % de logements abordables, alors même que la construction neuve régresse nettement du fait de l’achèvement des grandes ZAC parisiennes et de la volonté de sanctuariser certains fonciers.
Outre un cadre réglementaire plus strict illustré par le nouveau PLU bioclimatique, le principal levier de la Ville est donc l’accélération des transformations de logements du parc privé en logements sociaux et abordables.
La tendance est ainsi à la hausse du budget dédié aux acquisitions foncières et des préemptions de biens dans les quartiers déficitaires, et à la participation plus fréquente des bailleurs sociaux aux appels d’offres lancés sur le marché résidentiel parisien.
Plus d’un milliard d’euros d’actifs acquis ou préemptés à Paris
Afin de prendre la mesure de ce phénomène, Newmark a recensé l’ensemble des logements du parc privé1 acquis par la Ville et les bailleurs sociaux à Paris. Depuis le début de 2023, 84 opérations ont été, dont une vaste majorité de préemptions (82 % du nombre total), exercées directement par la Ville ou déléguées à des bailleurs sociaux. A cela s’ajoutent les acquisitions menées sous la forme d’opérations off-market ou de réponses à des processus classiques d’appels d’offre, principalement pour le compte de Paris Habitat et de la RIVP.
D’autres bailleurs que ceux de la Ville de Paris acquièrent des immeubles à Paris. En deux ans, Immobilière 3F en a ainsi acquis plusieurs, dont le 67 avenue de la République (Paris 11e). Les 84 opérations dénombrées depuis le début de 2023 représentent 49 % du nombre total de transactions recensées sur le marché de l’investissement résidentiel à Paris. « Ces 84 opérations représentent au total 1,1 milliard d’euros, ce qui fait des acteurs publics les principaux intervenants du marché, devant les privés et les institutionnels » détaille David Bourla. La hausse de la part des acteurs publics s’explique par des objectifs plus ambitieux en matière de création de logements sociaux, mais aussi par des conditions de marché plus favorables aux bailleurs sociaux. « Entre 2020 et 2022, ceux-ci étaient contraints par des prix élevés et la concurrence d’autres types d’acquéreurs. En 2023, le contexte a évolué, avec une plus faible demande des institutionnels et des privés et des valeurs vénales corrigées à la baisse » poursuit David Bourla.
1] Immeubles à dominante résidentielle, qui peuvent intégrer des locaux commerciaux ou d’activités / Opérations ≥ 1 million €.
Evolution des critères d’acquisition
Si les 84 acquisitions et préemptions recensées sont le plus souvent inférieures à 10 millions d’euros, certaines sont néanmoins significatives, pouvant approcher les 50 voire 100 millions d’euros à l’exemple du 25-27 avenue du Dr Arnold Netter (Paris 12e) acheté par la RIVP ou de l’ensemble préempté par la Ville au 53-57 rue de l’Amiral Mouchez (Paris 13e). Par ailleurs, « la Ville et les bailleurs ont également tendance à préempter et acheter davantage au sein de quartiers en situation de déficit, où les prix sont généralement plus élevés que dans ceux concentrant une part importante de logements sociaux » explique David Bourla. Depuis le début de 2023, une quinzaine d’opérations ont par exemple été recensées dans des arrondissements dont le taux de logements SRU est inférieur à 10 % (2e, 7e, etc.). Le 11e (taux SRU proche de 15 %) est quant à lui l’arrondissement totalisant le plus grand nombre de préemptions et d’acquisitions par la Ville et les bailleurs sociaux.
Le parc social n’en continue pas moins d’augmenter dans des arrondissements déjà bien pourvus : 43 % du nombre d’acquisitions et de préemptions recensées se concentrent dans des arrondissements ayant déjà atteint, voire largement dépassé, le seuil des 25 % de logementsSRU (13e, 18e, 20e, etc.). Ceci, notamment, parce que « la Ville considère l’échelle du quartier et non celle de l’arrondissement. La Ville a par exemple préempté le 38-40 avenue des Gobelins, situé dans un arrondissement, le 13e, globalement sur-offreur, mais dans un quartier déficitaire » précise David Bourla.

Les privés, premiers ciblés
Les biens ciblés sont le plus souvent la propriété de privés : ces derniers représentent ainsi plus de la moitié des immeubles préemptés ou acquis par la Ville et les bailleurs sociaux depuis 2023 à Paris. Dans le cadre de successions, des familles peuvent notamment être sensibles à la capacité de la Ville et des bailleurs sociaux à acheter rapidement et sans clause suspensive liée au financement. Par ailleurs, les particuliers sont parfois peu armés pour3 supporter les coûts et les délais de procédure en cas de désaccord sur un bien préempté. Les investisseurs institutionnels ne représentent quant à eux qu’une vingtaine d’opérations depuis 2023, mais la moitié des volumes préemptés ou acquis par la Ville et les bailleurs sociaux. Les immeubles qu’ils cèdent peuvent en effet être importants, à l’exemple de ceux appartenant à certaines foncières, assureurs et mutuelles.
Risques et opportunités pour les acteurs du marché immobilier
Ces prochaines années, les conditions du marché immobilier parisien seront peut-être moins favorables à la Ville et à ses bailleurs (fin de la correction des prix, amélioration des conditions de financement pour les acteurs privés, etc.). Toutefois, les préemptions et acquisitions de biens privés se poursuivront. Outre des objectifs élevés de production de logements sociaux, la Ville compte en effet intensifier ses efforts en matière d’offre abordable, avec une moyenne annuelle de plus de 10 000 logements à créer dans cette catégorie d’ici 2035 ! La poursuite de cette politique aura nécessairement un impact sur l’immobilier parisien. En premier lieu, celle-ci soutiendrait le marché des ventes en bloc grâce à la capacité des acteurs publics à acquérir rapidement un nombre important d’actifs et en jouant le « jeu du marché » (réponses aux appels d’offres, décotes limitées, etc.).
Toutefois, l’accélération des préemptions et acquisitions par la Ville et les bailleurs sociaux se traduirait aussi par la sortie du marché privé d’un grand nombre d’actifs, limitant le nombre potentiel de biens à acquérir par d’autres types d’acteurs. Cette politique aurait également pour effet d’accroître l’incertitude sur un marché immobilier résidentiel traditionnellement prisé pour sa stabilité. Ainsi, les investisseurs pourraient être réticents à se positionner sur des biens dont les caractéristiques correspondraient aux critères de préemption de la Ville et de ses bailleurs.
Par ailleurs, la contraction du parc privé au profit de l’offre publique accentuerait la tension du marché parisien et pourrait conduire à une augmentation des prix immobiliers. Les classes moyennes auraient donc plus de difficultés à se loger, solliciteraient davantage un parc social déjà saturé, voire seraient contraints de déménager hors de Paris.
Enfin, l’accélération des préemptions pourrait se traduire par un risque accru de contentieux. Ces dernières années, les procédures ont été assez limitées, les biens ciblés appartenant très majoritairement à des privés, et la Ville et les bailleurs sociaux s’alignant le plus souvent sur les prix de cession demandés par les vendeurs. Or, l’extension des critères d’acquisition de la Ville implique que les préemptions viseront davantage les propriétaires institutionnels, ainsi que des biens situés au sein de quartiers déficitaires et donc plus onéreux.

D’autres classes d’actifs sont également visées
L’intervention de la Ville sur le marché immobilier parisien concerne d’autres types d’actifs que les logements, comme les commerces. Les préemptions et acquisitions de la Ville et de ses bailleurs portent en effet fréquemment sur des immeubles de logements comprenant des commerces en RDC, ces derniers contribuant à l’équilibre financier des opérations. Mentionnons4 aussi l’entrée en vigueur, au mois d’août dernier, d’un droit de préemption des fonds de commerces dans les 5e, 6e et 7e arrondissements, et les réflexions en cours sur de nouveaux outils de protection de certaines activités commerciales (encadrement possible des loyers commerciaux, etc.).
Enfin, les préemptions et acquisitions concernent aussi les bureaux. Certains sont achetés par des bailleurs pour les transformer en logements sociaux ou intermédiaires ; mais l’on pense surtout aux bureaux « pastillés » dans le cadre du nouveau PLU bioclimatique, majoritairement situés à l’ouest de la capitale.
De même que les préemptions de logements du parc privé, les emplacements réservés du nouveau PLU traduisent la volonté de la Ville d’intensifier le développement de l’offre sociale dans les arrondissements déficitaires du centre et de l’ouest parisien. Dans les arrondissements déjà largement pourvus, les efforts de la Ville ne faibliront pas mais seront davantage dirigés vers la production d’une offre abordable, sous forme de BRS ou de logements locatifs intermédiaires ; de quoi prolonger durablement l’intervention des acteurs publics sur le marché immobilier de la capitale.
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